Interview Atlantico

1) Aujourd'hui notre système éducatif a ses défaillances, mais l'école n'est-elle pas injustement accusée d'être responsable de tous les maux de notre société (identité, intégration, violence) ? Certains problèmes relèvent moins de son champ d'intervention que de la politique de la ville par exemple. Que peut-on raisonnablement attendre de cette institution symbolique et de son rôle dans la société ?

La seule chose dont on pourrait accuser l’école serait de ne pas enseigner ou de ne pas instruire. L’école ne gère pas la société. Elle ne produit que de la liberté et elle la produit par le savoir, la culture, la science... Elle rend les élèves capables de liberté dès qu’ils auront terminé leur scolarité. Il faut bien voir que l’école s’inscrit dans une temporalité assez longue non seulement parce l’élève reste longtemps à l’école, mais surtout parce que la formation de l’esprit et du cœur demande du temps. L’école ne peut donc jamais résoudre les problèmes qui se posent dans l’immédiateté.

Quant aux questions que vous évoquez, l’identité, l’intégration ou la violence, elles ne renvoient pas vraiment à l’école. C’est le politique qui veut une France multiple, sans identité propre. Pour l’école, l’identité est inévitable : on ne peut pas enseigner la détestation de la France. C’est impossible. Certes on n’est pas obligé de cacher que Napoléon a rétabli l’esclavage, ni d’occulter le commerce triangulaire ou la colonisation, mais ce sont là des phénomènes historiques qu’il faut au contraire tenter de comprendre. L’histoire de France ne peut se réduire à ces pages-là. Demander à l’école de mettre prioritairement l’accent sur ces événements, c’est fausser l’école.

Je me demande si le politique qui impose à l’école ces sortes de priorités, ajoutées à d’interminables repentances, n’a pas en fait l’intention de culpabiliser la population. Une population vouée à la culpabilité est peut-être plus facile à conduire là où on veut qu’elle aille. On a l’impression que le politique énarchien a réinventé le péché originel. On veut une population qui a honte d’elle-même, qui marche la tête baissée. Ces politiques vont être déçus, car l’école forme, elle ne conforme pas. Ou bien l’école forme des esprits libres ou bien elle n’est plus. Elle ne peut pas être un centre de dressage et certainement pas un lieu de culpabilisation. Je crains d’ailleurs que c’est ce qu’on veut qu’elle soit : un centre de gestion de l’enfance et de la jeunesse susceptible de fournir la population que réclame l’énarchie.

L’école enseigne l’universel, jamais la particularité. Voilà qui suffit à l’intégration et à la violence : l’homme, masculin ou féminin, d’où qu’il vienne, est fondamentalement le même partout et en tout temps. Voilà l’école.

2) L’école a bon dos et tend parfois à jouer le rôle de bouc émissaire pour mieux cacher une certaine déresponsabilisation citoyenne. De quand date ce phénomène de surinvestissement du rôle de l’école ? Qu’est-ce que cela dit de l’état de notre société ?

Vous avez raison. Il n’est pas sûr du tout que la société ait encore besoin de citoyens, de personnes capables d’analyser les situations et de prendre des décisions. Les situations sont analysées par des experts et les décisions prises par des professionnels. Le pseudo citoyen doit seulement approuver. S’il n’approuve pas, c’est par erreur de sa part et on saura contourner son refus. Nous avons des énarques.

En fait notre société n’a plus réellement besoin de son école. Du moins pas pour tous. Les enfants des élites en place, voués à succéder à leurs parents, ont besoin d’une véritable école. Pour eux, les héritiers, elle existe. En centre-ville, en institutions privées, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Pour le reste de la population, on met en place des dispositifs gérant la future employabilité des élèves. L’école est aujourd’hui limitée à cette fonction. Petit ascenseur social qui ne doit pas permettre l’accès aux étages supérieurs. L’école doit se limiter à préparer les élèves à recevoir les slogans par lesquels on gouverne les populations et à être dociles à ce qu’on pourrait appeler le pétrissage médiatique.

Il est vrai qu’on a toujours fait appel à l’école pour des missions qui ne sont pas intrinsèquement les siennes. Dès la Troisième République, on demande à l’école de répandre dans les familles le principes de l’hygiène, de l’alimentation équilibrée ou de la bonne tenue des maisons. On se souvient encore de la vente des timbres antituberculeux, de la distribution de lait, etc. Mais toutes ces missions venaient s’ajouter aux missions centrales de l’école, sans les empêcher. Elles ne les gênaient pas. Aujourd’hui, on lui impose des missions qui la contredisent, comme de survaloriser la fausse culture ou d’empêcher les filles et les garçons de grandir comme des filles et des garçons. On voit des inspectrices d’écoles maternelles reprocher aux maîtresses de donner des étiquettes roses aux filles et bleues aux garçons ! En faisant croire qu’on ne vise que l’égalité, on travaille à l’indifférenciation. À une indifférenciation décidée par des experts qui ne nous dirons jamais ni pourquoi ni jusqu’où il la veulent. Et devant des parents d’élèves incrédules, les maîtres sont pris au dépourvu. Et l’école de perdre sa crédibilité et son aura. L’école devient une institution dont on commence à se méfier...

3) C’est la rentrée. La réforme des rythmes scolaires de Vincent Peillon et Benoît Hamon, puis celle du collège élaborée par Najat Vallaud-Belkacem (pour une entrée en vigueur à la rentrée 2016), s’attaquent-elles aux vrais problèmes ? La ministre de l’Éducation dit de sa réforme qu’elle a « vocation à contrecarrer la dégradation continue des résultats des élèves de collège ». Aujourd’hui, quels sont les manques criants et les axes d’amélioration incontournables dans le domaine de l’école et de l’éducation ?

L’exemple des rythmes scolaires est caractéristique. Sous couvert d’équilibrer la semaine d’école, on a livré l’ensemble des enfants des écoles à des associations. Certes la plupart sont dévouées et partagent l’idéal scolaire, mais bien d’autres sont pour le moins étranges, communautaires, partisanes, etc. C’est au point que les parents qui en ont les moyens ne laissent pas leurs enfants aux mains de ces associations.

Quant à la réforme des programmes, on ne fait que continuer sur la lancée : on les vide. La nouveauté, due à notre époque de brassage des populations et à notre renoncement à être un pays souverain, c’est l’introduction des éléments de relativisme et des éléments de repentance.

Si on y réfléchit bien, les réformes actuelles sont les bonnes ! Il faut arrêter de croire que nos ministres sont mal informés ou qu’ils font les mauvais choix. Ce n’est pas par accident que sont nommées, à l’Éducation nationale une personne très jeune et très peu diplômée et à la Culture une technocrate qui trouve normal de n’avoir rien lu de notre dernier prix Nobel. Leur signaler, à ces ministres, qu’ils font fausse route ne servirait à rien puisqu’ils ne font pas fausse route.

Le changement de société n’est cependant pas l’affaire de l’école. L’école c’est, pour les élèves (et non les enfants), l’entrée dans la culture par la médiation d’un maître. Si on empêche le maître d’être un maître, par exemple en l’enfermant dans une prétendue équipe pédagogique, on n’a plus d’école. Si, de plus, la culture disparaît, comme l’art avec, par exemple, le Vagin de la reine, ou la science, prête à affirmer n’importe quoi, alors l’école n’est tout simplement plus possible. Sans culture et sans maîtres, pas d’école, mais des centres de conformation.

L’adaptation des programmes à ces nouvelles « cultures » peut donner l’illusion d’un progrès modernisateur. Et d’autant plus qu’on les rédige en termes de compétences et non plus de notions. On ne demande plus aux élèves de savoir leurs tables d’addition ou de multiplication, mais seulement d’avoir « compris » le mécanisme opératoire. On ne leur demande plus de bien écrire, mais seulement de se faire comprendre. Et on leur épargne la langue du dix-septième siècle, jugée au-dessus de leurs capacités.

Que faudrait-il faire ? Revenir à une école qui enseigne. Transformer les enfants en élèves.

Réhabiliter les enseignants en maîtres. Redéfinir les programmes en termes de notions. Retrouver les normes de la langue, ne serait-ce que pour ne pas les respecter. Etc. Il y a là les principes d’une école de toujours, dont je constate qu’ils sont à l’œuvre dans toutes les écoles qui forment les élites, mais qu’on empêche dans les autres.

On m’objecte que trop d’élèves ne réussiront pas à suivre. Mauvais argument. L’échec scolaire est aujourd’hui, dans le triomphe des méthodes « nouvelles », le plus élevé de toute l’histoire de l’éducation. C’est un niveau d’échec sans précédent ! Est-ce un accident ?

Et pourtant la solution, si on la voulait, est toute simple. On rétablit la sixième A, la sixième B et la sixième C. En A on place tous les élèves qui suivent facilement. Effectif à 30. En B, ceux qui ont besoin d’une pédagogie plus attentive. Effectif à 18 ou 20, avec des maîtres formés dans ce but. En C les élèves les plus difficiles avec des maîtres confirmés et volontaires, payés nettement plus que les autres et libérés de tout programme, de toute instruction, de tout horaire. Avec comme seule mission de réussir quelque chose, de les tirer d’affaire, ces élèves au bout du compte pas si difficiles qu’ils paraissent. Effectif : 8 élèves par groupe. Mais le maître est totalement disponible.

4) Quels sont les retours d’expérience et les attentes des parties prenantes, parents et professeurs ? Primaire, collège ou lycée : quel cycle faut-il réformer en priorité et comment ?

Je crois que le corps enseignant est déboussolé. Il ne reconnaît plus ni son école ni son pays. Je connais des collègues qui m’avouent attendre la fin de l’heure encore plus que les élèves. On me montre des bulletins trimestriels où l’on a porté « absent » en français, maths, histoire-géo, mais dont la moyenne générale, ne portant donc que sur les matières qui restent, se trouve ainsi positive et dont l’appréciation générale se borne à un simple « doit être plus présent en classe ».
Les appréciations négatives sont, en effet, interdites.
Réformer ? Mais il n’y a rien à réformer. Il faut seulement rétablir. Et d’abord la dignité de l’institution scolaire. Ensuite il suffira de laisser le corps enseignant faire son métier et tout s’ensuivra. Il n’est nul besoin de Conseil Supérieur ni de Haute Autorité... La priorité, c’est de libérer l’école de la mainmise de l’État. L’université devrait suffire.

Publié par Atlantico le 31 Août 2015

Pierre Duriot et Jean-Paul Brighelli ont également répondu, de leur côté à ces questions.

http://www.atlantico.fr/decryptage/rentree-scolaire-pourquoi-big-bang-qui-pourrait-vraiment-changer-education-nationale-depasse-tres-loin-que-ecole-peut-faire-elle-2304866.html