Orthographe et réforme

La langue est vivante, on le sait, mais l’orthographe aussi et elle vit de sa propre vie qui n’est pas nécessairement celle de la langue qu’elle écrit. Tout le problème est là. Si on voulait faire de l’écrit un simple code, second, de ce premier code qu’est la langue, alors c’est l’écriture phonétique internationale qu’il faudrait utiliser. Encore faudrait-il un peu de sécurité dans la délimitation des phonèmes.

Mais notre écriture relève de sa nature propre, qui est historique, faite d’évolutions et de révolutions, de finesses et d’erreurs, de subtilités et de laxismes. Et si elle est souvent absurde, elle n'est pas non plus sans rationalité. Je me suis fait, autrefois, corriger dans ma prononciation de Bruxelles, capitale de la Belgique, car prononcer le x est une erreur. Il faut dire Brusselles, tout comme il faut dire Ausserre et non Auxerre. Pourquoi ? Parce que les copistes d’autrefois, toujours tentés d’aller vite (d’où l’écriture cursive), ont remplacé les deux s par une croix, confondue, aujourd’hui avec la lettre x.

L’orthographe contient l’histoire de notre langue et, donc, notre histoire, l'histoire de notre esprit. Cela ne signifie nullement qu’il faille la sacraliser, mais seulement qu'il faut y regarder à deux fois avant d'y toucher, car dès qu'on touche à l'histoire, la perte de sens n’est jamais exclue.

Fait rassurant : malgré l’ardeur inépuisable des réformateurs, la langue et son orthographe résistent. Et on ne parle là que de l’orthographe des mots (on parlait autrefois d'orthographe d’usage, on dit aujourd’hui lexicale). Les accords et les conjugaisons relèvent d'une orthographe dite grammaticale, qui n'est ni simple ni facilement réformable. « Les réformes se sont pourtant succédé. »

Un sens interne de l'orthographe

Alors faisons appel aux enseignants et à leur sens interne de l'orthographe. Car ce sens interne existe, il est même assez proche du sens esthétique. Il suffit de regarder l’orthographe SMS où l’écriture tend au rébus. Ou de regarder la transcription du créole francophone...

Un collègue m’écrit qu’il ne sanctionne pas, se contentant de les signaler, les fautes faites dans le génie de la langue, mais qu’il reste intraitable quant aux barbarismes. Il a probablement raison. L'orthographe ne s'apprend que dans le respect de sa propre nature. C'est le sens de la langue qui doit guider. On n’imagine pas un amoureux des mots, un poète, qui ne soit pas en même temps amoureux de l’orthographe. Ce serait hénaurme (de Flaubert à San Antonio).

Mais s'il existe en effet, un au-delà de l'orthographe, il existe aussi un en-deçà. Une orthographe défaillante est signe d’inculture au point que certains recruteurs demandent aux candidats ingénieurs, pourtant à Bac+5, une certification Voltaire.

Et, tout le monde l'aura remarqué, on ne rougit pas de faire une faute de calcul, alors qu'on rougit de faire une faute d'orthographe.

On m’a quelquefois reproché de parler de « fautes » d’orthographe alors qu’il vaudrait mieux, assure-ton, parler d'« erreurs ». Hélas non. Erreurs de calcul, mais bien fautes d'orthographe. On pourrait assez facilement le montrer.

Mais revenons à l’enseignement. La dictée ? Elle a ses vertus, mais peut-être pas celle d'enseigner l'orthographe. On peut alors penser à deux autres moyens.

Le premier passe par les règles. Vous vous rappelez : « les noms féminins en -té ou -tié ne prennent pas de e sauf… » Quand il n’y a pas de règles, il y a des astuces mnémotechniques (deux ailes pour l'hirondelle). En désespoir de cause, il reste le par cœur. Et malgré les apparences, tout cela peut être très ludique. Question de pédagogie.

Le second moyen, c’est la lecture. Là se trouve la voie royale.

 

Note 1 : trop français, la défense de l'accent circonflexe ? C'est qu'on a oublié la levée de bouclier britannique contre la suppression de l'apostrophe-s du cas possessif (devenu, en pédagogie, le cas du propriétaire).

Et Margaret Thatcher ne voulait-elle pas faire traduire en anglais les livres américains ?

 

Note 2 : revoyons aussi les difficultés rencontrées dans l'écriture des créoles francophones. Ainsi lit-on, sur le tableau d'affichage d'une sous-préfecture des Antilles :

 

NOUS NE FAISONS PAS DE PHOTOCOPIES

COPIES ET ORIGINAUX OBLIGATOIRES

 

NOUS PAKA FE COPI

OWIJINAL EPI COPI OBLIGATWA