Un cours d'histoire (hypokhâgne) : Les États-Unis depuis 1918

Les chemins de la puissance

(Ce sont les notes à partir desquelles je faisais mon cours.
Ici, un point d’histoire préparant une réflexion plus philosophique sur la nature du pouvoir politique : l’État de droit ne supprime pas vraiment l’État de force, il s’y ajoute.)

Les États-Unis depuis 1918

En quoi consiste la puissance (politique) :

— capacité à intervenir en tout et partout ;
— capacité à refuser d'intervenir ;
— capacité à obliger les autres États à suivre ;

La puissance est :

— diplomatique et militaire (ne pas avoir besoin d'autrui pour s'armer) ;
— économique tant secteurs primaire (agriculture, extraction) que secondaire (transformation) et tertiaire (gestion, services) ;
— financière, bancaire, notamment ;
— culturelle, les idées du pays le plus puissant deviennent souvent les idées les plus puissantes, au moins pour un temps ;
— messianique (investi d'une mission historique voire transcendante, voir la Manifest Destiny dès 1840 des US ou le choix de Dieu dans l’Islam) ;

→ Aujourd’hui, la puissance n’est plus démographique. Elle l’a été, au siècle de Louis XIV, ou à l' époque de Napoléon.

Aujourd’hui, la puissance va à la liberté, la liberté sous toutes ses formes (elles sont d’ailleurs inséparables). [Thèse personnelle].

La puissance permet :

— l’interventionnisme,
— l'isolationnisme,
— le mélange des deux et le passage ad libitum de l’un à l’autre.

Elle permet de servir plus efficacement ses propres intérêts, notamment au détriment de l’ordre mondial.

L’ordre mondial est toujours un équilibre des forces.
Il n’est jamais la conformité à un modèle. Il n’y a pas de modèle d'ordre.

Sur la période considérée, on peut voir le passage des US  de l’isolationnisme à l’interventionnisme puis à l’impérialisme.

→ [Philosophie] Aucun de ces mots n’a ni de doit avoir de connotation morale. Il ne s’agit que de repérer que la nature de tout État n’est pas la paix, mais la puissance.

Avant 1914, les Américains sont plutôt isolationnistes en matière politique, mais ouverts en matière commerciale.

    Avant 1918

Les US réclament l'ouverture du commerce alors que les puissances coloniales (Angleterre et France, mais aussi Portugal et Espagne) vivent principalement repliées sur leurs empires. D’où la revendication de l’Allemagne (empire allemand) de disposer aussi d’un domaine colonial (conférence de Berlin 1884, achat des îles Mariannes et Carolines, menaces militaires allemandes contre la France pour s'emparer du Maroc).

Les US s’en tiennent à la doctrine Monroe (1823) : l’Amérique aux Américains. Pas de colonisation européenne dans les Amériques, pas d’intervention américaine en Europe.

   1918-1941 : un isolationnisme relatif

Wilson reprend la Manifest Destiny de 1840 (Destinée manifeste), qui légitime la nation américaine et son expansion vers l'Ouest au détriment des Indiens.
Refuse l’entrée en guerre en 14, mais y est obligé par le torpillage du Lusitania.

[à voir le Lusitania : cas d’école pour les services secrets].

Le thème la Manifest Destiny est repris ensuite par le Président Wilson en 1918, inspirant le Traité de Versailles :
«Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté. »

Impose le programme dit des 14 points, dont la Société des Nations, inspirée du traite de Kant sur la Paix perpétuelle.

1920 : Mais le Congrès refuse la SDN.

Cependant, l'intervention américaine économique est partout.

1929 : crise économique et pacifisme. C'est une crise autant morale qu'économique,  touchant le progrès, la modernité et l’avenir des US.

Refus de s'impliquer dans la "montée des périls" européens.

Lindberg promeut l' "America first committee"

La population américaine est très opposée à l'intervention.

Mais :
– l'influence du Président Roosevelt
– et l'attaque de Pearl Harbor (7/12/41) font basculer l'opinion.

D’autant que l’industrie américaine travaille nuit et jour pour soutenir la Grande-Bretagne et… l’Union soviétique (après la rupture du pacte Germano-soviétique par Hitler en 1941).

    1941-1989 : l'interventionnisme devient délibéré

1941 : charte de l’Atlantique avec Churchill (qui rappelle à Roosevelt la Manifest Destiny en y incluant la Grande-Bretagne) ;
1944 : Accords de Bretton Woods, qui stabilisent les systèmes monétaires en installant un étalon, le dollar, lui-même fixé sur l'or 1 once (oz, 31,1 gr, The avoirdupois system ) = 35 dollars. Aujourd'hui (22/09/2021), 1 once = 1511,32 $.
1945 : Conférence de Yalta ; création de l’ONU. La France n'est pas conviée.
1947 : accord du GATT (accord général sur les tarifs douaniers)
1947 : Plan Marshall (suite à la guerre civile grecque) : aide financière et matérielle massive, dont une grande partie sous forme de dons, le reste sous forme de prêts alloués (achat de produits américains obligatoire).
1949 : OTAN sous hégémonie américaine

⇒ Les US prennent la direction du Monde. En particulier, ils ont assuré les approvisionnements en pétrole par la création de l’Arabie Saoudite mise sous protection américaine.

    ~1960 : la concurrence soviétique ; la guerre froide

– Course (ruineuse) à l’arme nucléaire ;
– Le premier Spoutnik en 1957, traumatise l’Amérique et lance la conquête de l'espace, elle aussi ruineuse ;
– La contestation gaulliste (la France se retire du commandement intégré de l’OTAN) ;
– 1961-1973 : (Kennedy puis Johnson) relèvent la France dans la guerre du Vietnam jusqu'en 1973 (Nixon). Guerre très coûteuse et sans issue.

    ~Nouvelle hégémonie 1980

– Triomphe économique ;
– Reagan (81-89) : « America is back » ;
– Engage la "guerre des étoiles" que les Soviétiques ne peuvent plus suivre ;
– Retour de l'idéologie (contre l'empire du mal) ;
– 1989 : chute du mur de Berlin ;
– 1991 : effondrement constaté de l'URSS.

⇒ [thèse perso] Cet effondrement vient de l’absence de liberté et d’un scepticisme grandissant à l’égard du marxisme.

Les US sont confortés dans leur conscience de soi et croient de nouveau à leur mission universelle.

1992 : Francis Fukuyama publie la fin de l'histoire qui constate le triomphe de la démocratie libérale sur le marxisme et sur toute autre 'idéologie. Le marxisme est une philosophie de la fin de l'histoire.

→ Le monde devient unipolaire, pour un temps.

    Hégémonie sous couvert des Nations Unies

1991 : guerre du Golfe (contre l’Irak qui avait envahi le Koweit), mais sous couvert des Nations Unies ;
Sous ce couvert, les US se font gendarmes du monde en internationalisant un conflit régional (Sunnites, Chiites) ;
Clinton : enlargement, c’est-à-dire installation généralisée de la démocratie.

Les US jouent, partout où ils le peuvent, les médiateurs obligés. Par exemple dans le conflit israélo-palestinien.

    11 septembre 2001 : retour à l’unilatéralisme.

Les intérêts de l'Amérique d'abord et seulement.
Contre les "rogue states".
2003 : Irak, sans l'ONU et contre la France (discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies).

Conclusion : Que peut la puissance ?

N’étant pas que militaire, la puissance peut émerger et s’accroître ailleurs : Chine, pays émergents.
Elle va, naturellement, jusqu’à la confrontation.

Un certain libéralisme peut se révéler dangereux :
-- crise des subprimes, qui a entraîné la crise bancaire de 2008, toujours pas liquidée ;
-- le too big to fail est un cas d'école. Les grandes entreprises peuvent mettre les politiques en échec. Exemples du spatial (Elon Musk), de la santé mondiale (Bill Gates) ou de la « société ouverte » (George Soros).

Il y aurait à voir :

— le bilan de la présidence habillée de pacifisme d’Obama ;
— le phénomène Donald Trump qui semble montrer que la puissance revient toujours, in fine au politique entendu comme le « big stick » (de Theodore Roosevelt).

⇒ On peut conclure que la puissance américaine s'est relativisée. Elle n'est plus la seule et elle a ses fragilités.

Mais on peut tout aussi bien conclure l'inverse.

Surtout [Philosophie] : on ne juge pas. Le travail de l'historien est de montrer la complexité des choses, non de porter un jugement.
Ce fonctionnement de la puissance est suis generis et indépendant des volontés humaines.
Ce qui ne veut pas dire qu'on ne puisse rien y faire.