Manifeste Causeur

Pétition Causeur

Petite réponse à Sylviane Agacinsky (Le Monde daté du 21 novembre 2013)

 Puisqu'on est entre philosophes, voyons un peu de quoi l'on parle, lorsqu'on parle de pénaliser (par le code pénal, donc), les clients des prostituées.

1. Le client achète du plaisir ! Il achète du plaisir ? Comment lorsqu'on achète des pâtisseries ? Est-ce à dire qu'il y aurait des plaisirs acceptables (les sucreries) et des plaisirs inacceptables (les « services » sexuels) ? Le plaisir est-il toujours coupable ou bien, seulement dans certains cas ?
Et puis, le plaisir n'est-il pas à vendre partout ?
À vrai dire, qu'achète-t-on, quand on achète quelque chose ?
Qu'on fasse remonter
un vieux fond de moralisme culpabilisant le plaisir, pourquoi pas, mais pourquoi ne pas le dire ? Veut-on être moralisant sans en avoir l'air ?
Et puis comment sait-on ce qu'achète le client d'une prostituée ? Du plaisir ? ou bien tente-t-il de répondre, comme il peut à une sorte de détresse ? Q
uelle bonne idée de lui coller en plus une amende et un casier judiciaire !
Ce qu'il faut empêcher, éventuellement par la puissance de l'État, c'est la prostitution forcée, qu'elle le soit par les circonstances, ou qu'elle le soit par la malfaisance ordinaire. En cela on défend la liberté et le respect de la personne.

2. Il faut craindre le moralisme que cache la dénonciation de la prostitution. Sylviane Agacinsky (Le Monde daté du 21 novembre 2013) décrit ce qu'elle perçoit comme horreurs sexuelles tarifées. Elle les estime être des « pratiques spéciales ». Ce qui revient à dire qu'il existe des pratiques normales dont, elle ne donne pas la liste maisauxquelles il faut se tenir. La police y viendra voir. On va mettre une webcam dans toutes les alcôves, la NSA saura quoi en faire.
Quant aux pratiques
décrites, elles sont peut-être moins des horreurs en soi que ses horreurs à elle.
A chacun ses inhibitions, mais la philosophe devrait être la première avertie qu'on ne fait pas de la morale avec des inhibitions et qu'on ne devrait pas non plus en faire les lois.
Quant au "commerce de la chair", il s'agit d'une formule toute rhétorique, qui tente de rallier des suffrages par des haut-le-coeur plutôt que par les arguments.
Pas très socratique.
Quant à a
cheter un corps... on achète plutôt un service, non ? à la fin, on repart tout seul, on laisse son corps à la « vendeuse ». Le corps humain n'est certes pas à vendre, mais, en l'occurrence, a-t-il été vendu ? Heureusement, Marx propose la réponse : le travailleur ne vend pas son corps, seulement sa force de travail.

3. Les signataires de la pétition de Causeur ne défendent pas spécialement la prostitution et sans doute sont-ils nombreux ceux qui ont signé sans pourtant avoir jamais eu recours à de tels services et même s'y refuseraient.
Ils ont signé, c'est en tout cas le sens de ma propre signature, contre une loi qui viendrait pénaliser un acte qui, par ailleurs, n'est pas interdit. En signant, ils défendent l'état de droit, non la prostitution. Si l'on croit devoir interdire la prostitution, qu'on s'en donne les moyens, sans le faire subrepticement par des voies détournées.
Mais sanctionner l'achat d'un produit autorisé à la vente, c'est plus que le monde à l'envers, c'est le début de la fin de l'état de droit.

Et puis s'il faut "abolir" (puisqu'on est dans le  vocabulaire manipulatoire) la prostitution, pourquoi ne pas le faire franchement ? On n'est peut-être pas obligé de détruire la république.