Le genre

Que veulent vraiment les partisans de la « théorie dite du genre » ?

Il existe bien une théorie du genre.

Les connaisseurs habiles en rhétorique ne manquent jamais de faire remarquer qu’une telle théorie n’existe pas, qu’il n’existe qu’un ensemble très divers d’études qu’on appelle en anglais gender studies… Sophistique. On peut parler de la théorie du genre, telle qu’elle est arrêtée par Judith Butler dans ses deux livres, Trouble dans le genre (1990 aux États-Unis et 2005 en France) et Défaire le genre (2004 aux États-Unis et 2006 en France). Ces deux livres, qui sont très sérieux, suffisent pour aborder le problème. Quant à l'ensemble des gender studies, il n'est pas si disparate et se résume très bien par la dénomination théories du genre puisque dans tous les cas il s'agit de démontrer que la biologie ne détermine pas le vécu.

Ne pas craindre les accusations de conservatisme.

Nul n’est tenu d’accepter l’air du temps malgré l'accusation de conservatisme, accusation politique qui rappelle celle de modérantisme sous la Révolution. Il n’est d’ailleurs pas certain, en l’occurrence, que la théorie du genre soit bien progressiste. Qui sait si cette théorie aujourd'hui mise en avant ne cacherait pas une stratégie politiquement difficile à avouer ? Car… étrange combat que celui du genre !

S’agit-il bien de combattre les stéréotypes sexistes ?

Si la promotion des thèses sur le genre signifie la lutte contre le sexisme, ou ce qu’il en reste, c’est très bien et nous en sommes. Mais ne suffit-il pas alors de montrer que les rôles dévolus aux hommes et aux femmes ne sont en rien naturels, qu’ils sont imposés par la vie sociale et que cette vie sociale ayant aujourd’hui largement évolué, ces rôles ne sont plus nécessaires quand ils ne sont pas tout simplement des abus de pouvoir.

Et puisque la préparation des garçons et des filles aux rôles sociaux qu’ils auront à assumer est dans tous les cas et toutes les situations absolument inévitables, ne suffit-il pas de veiller à ce que de subreptices discriminations ne viennent surcharger cette éducation ? Mais l’invocation du « genre » s’inscrit-elle bien dans ce projet ? L'irruption soudaine du mot genre cache-t-elle quelque chose ou n'est-elle qu'un anglicisme de plus ?

Vers une suppression du genre ?

Commençons par une remarque de langue. En français, le mot « genre » n’a de signification que grammaticale ou taxinomique. En sciences de la vie, on classe en genre et en espèces. Pas de sexualisation ici. En grammaire, on est féminin, masculin ou neutre : il ne s’agit que du classement des mots.

L’utilisation du mot « genre » en un sens sexuel vient redoubler le mot « sexe », mais cette fois sur le plan du vécu et non plus sur le plan biologique. Ce que met en avant la théorie du genre, c’est la distinction entre le sexe, biologique, et le fait de se sentir homme ou femme. Ce que revendique la théorie du genre, c’est la liberté de n’être pas ce que la biologie paraît avoir décidé qu’on serait.

Pourquoi pas ? Où est le problème ? Nous sommes plus à l’époque de l’ordre moral et chacun doit pouvoir vivre sa sexualité comme il l’entend, dès lors que le respect de l’autre est intact. On peut même admettre de faire évoluer le Code civil si, après examen, la nécessité s’en faisait sentir. Rien, en effet, ne menace, ou ne devrait menacer, dans leur existence et leur mode de vie, ceux qu'on appelle transgenres.

Quelle objection pourrait-on légitimement opposer, en effet, à ceux qui veulent changer de sexe physiologique parce que psychologiquement ils se sentent de l’autre sexe ? La question de l’état civil peut se traiter facilement en distinguant le sexe de naissance du le sexe de réattribution, voire le sexe déclaré… Et aussi, comme vient de le faire la législation allemande qui admet un sexe indéterminé, lorsque c’est le cas à la naissance. Il faut cependant rester prudent, quant à la législation, les effets pervers restant toujours difficiles à prévoir. Et surtout, si des enfants sont en jeu, leur intérêt est à prendre en compte.

Mais faut-il aller plus loin et envisager une institutionnalisation de la fragilité des genres ? Faut-il, par exemple, autoriser la théorie à faire irruption dans les écoles ? Faut-il même obliger les écoles à lui faire une place, éventuellement par la loi ?

Que veut-on faire dans les écoles ?

Faut-il faire de la question du genre une cause nationale, plus urgente que celle du chômage ou de la formation professionnelle ?

Aller dans les écoles, obliger les maîtres à expliquer aux enfants, pré pubères donc, qu’ils ne sont peut-être pas aussi garçon ou fille qu’ils le croient et que de toutes les façons, cela ne doit pas les empêcher de vivre leur sexualité autrement et même changer de sexe s’ils le souhaitent ? Le leur suggérer (pour le coup il s’agit bien d’une suggestionau sens psychologique) ? Les mettre dans le doute à cet âge ?

Il faut bien comprendre de quoi il s’agit. Expliquer aux enfants que papa fume la pipe pendant que maman fait la vaisselle, est une chose. Critiquer cette image n'est que lutte contre le sexisme. Leur mettre dans l’idée un doute quant à leur sexe, en est une toute autre.

Un tel « enseignement », à défaut d'être utile, est-il psychologiquement supportable pour les enfants ? Voilà qui mériterait d'être approfondi !

De plus, un tel « enseignement » est-il réalisable pour les maîtres ? Qui oserait aller perturber ainsi en profondeur chacun des élèves de sa classe en lui disant, en substance : "toi, tu es un garçon, mais peut-être pas autant que tu crois" ? Et que ferait-on des enseignants « objecteurs » de conscience ? On les contraindrait ?

À supposer qu’un tel « enseignement » soit finalement possible, qu’en espère-t-on ? Réduire les cas de dysphorie sexuelle ? Ou bien, au contraire, les multiplier ?

Prendre en considération les – rares – cas de dysphorie sexuelle est une (bonne) chose ; créer des problèmes chez ceux qui n’en ont pas en les culpabilisant de se trouver bien d’être ce qu’ils sont, en est une tout autre, dont la justification est loin d'être évidente.

Une stratégie de brouillage de la sexualité

Il faut bien faire attention au vocabulaire. Il est probable qu’au début on ne voudra que lutter contre le sexisme. Mais on introduira le mot « genre » et ce mot fera venir avec lui toute la stratégie de brouillage de la sexualité.

À vrai dire, pourquoi pas ? Si la sexualité contrainte par le genre bride la liberté, voilà une libération qui pourrait être bienvenue, comme le sont toutes les libérations. Mais si telle est l’intention, elle doit être clairement énoncée. On ne libère pas subrepticement. La manœuvre politicienne qui consiste à faire passer derrière une cause juste, une intention masquée est une manipulation indigne qui mérite d'être dénoncée. Si l’on estime que nos enfants doivent pouvoir choisir, le moment venu, d’être fille, garçon, l’un ou l’autre, l’un et l’autre, ni l’un ni l’autre, alternativement l’un puis l’autre ou toute autre combinaison que l’imagination peut élaborer, il faut le dire et mettre la proposition en débat.

L’école, cœur de stratégie

Ce qui est suspect, ce n'est pas la théorie du genre. Cette théorie est sérieuse et parle de quelque chose de bien réel. Ce qui est suspect, c’est la volonté des partisans du « genre » d’utiliser l’école comme vecteur de la transformation des mœurs et pratiques sexuelles. Après une école qui n’enseigne plus, voilà l’école qui détruit… comme disait Butler (Samuel et non Judith) et que rappelle un récent article du Monde : « Après tout, peut-être vaut-il mieux pour le pays que l’école empêche le développement de la pensée au lieu de la favoriser. »

L’éducation se croyait fondée à tenter faire coïncider l’identité sexuelle avec la conformation naturelle. Cela paraissait sagesse et c’est certainement de cette manière que se poseront le moins de problèmes sociaux et psychiatriques. L’insinuation d’un doute sur son propre corps généralisée à toute la population peut en revanche conduire… allez donc savoir où.

Voilà un activisme qui ressemble fort aux mouvements de dépénalisation de la pédophilie d’il y a quelques dizaines d’années. Bien des intellectuels s’y sont laissé prendre qui ont abandonné cette position quelques années plus tard quand les dégâts causés par la pédophilie ont été connus.

Restons sur l’idée philosophique que la reconnaissance de l’égale dignité du masculin et du féminin suppose qu’on soit indifférent au fait d’être l’un ou l’autre… Ni les âmes, ni les esprits ne sont sexués.