Christine Lagarde, Jacqueline Sauvage : honte à la presse

Nous ne sommes pas dans l’intérieur des dossiers ni de Christine Lagarde ni de Jacqueline Sauvage, mais nous sommes les destinataires des commentaires de la presse. Or il semble qu’aucun journaliste n’ait eu le courage d’expliquer non les affaires – trop complexes, elles exigeraient de notre part d’y consacrer trop de temps –, mais les enjeux !

1.-- Jacqueline Sauvage assassine son mari bourreau. On peut comprendre. Elle est lourdement condamnée. C’est plus difficile, mais on peut encore comprendre. Elle est graciée à moitié. Ce qui laissait le dernier mot aux magistrats. En vain. Elle est graciée à nouveau, totalement cette fois.
Hurlements unanimes : le doit de grâce est archaïque, relève de l’Ancien Régime et doit être supprimé ! Pas moins !

Pourtant le droit de faire grâce est constitutionnel et c’est bien ainsi. Normalement un tel droit ne devrait pas exister, mais… suivons Rousseau, après qu'il eût établi l'inflexibilité des règles de droit :
« Mais je sens que mon cœur murmure et retient ma plume ; laissons discuter ces questions à l’homme juste qui n’a point failli, et qui jamais n’eut lui-même besoin de grâce. »
Car les principes sont une chose, leur mise en œuvre par des hommes en est une autre. Il faut savoir rester humain. Donc oui, bien sûr, au droit de grâce, même si ceux qui l’ont entre les mains en abusent en faveur de leurs proches ou de leurs amis.

Mais quels journalistes ont-ils entrepris d’expliquer tout ceci au public ? Ils se sont contentés de hurler avec les loups. Honte à eux.

2.-- Christine Lagarde prend des décisions dans le cadre de ses fonctions ministérielles. Comprenons bien, elle n’est pas poursuivie pour une malversation commise pendant son ministère ; elle l'est pour l’exercice même de ses fonctions de ministre, pour des décisions ne relevant que de sa propre compétence républicaine. On la poursuit devant la Cour de Justice de la République, la CJR pour… négligence ! Mazette. Rien que ça ! Il est vrai qu'on ne voyait pas quelle autre faute retenir.
Mais elle est condamnée avec dispense de peine, ce qui revient à dire qu’elle est condamnée sans l’être vraiment.

Hurlements quasi unanimes !
Une pétition est lancée qui recueille 250 000 signatures (par internet, bien sûr) pour réclamer sa comparution devant les tribunaux ordinaires, ici un tribunal correctionnel.
Où est le problème ? Il est dans le fait que nos journalistes n’ont pas pris la peine d’expliquer que nous sommes dans un État de droit qui doit respecter la séparation des pouvoirs, qu'il existe trois pouvoirs (et trois seulement), l’exécutif, le judiciaire et le législatif et qu'aucun de ces pouvoirs ne doit pouvoir empêcher le fonctionnement des deux autres. Il est donc impératif que les ministres, tout comme les membres des corps législatifs, soient à l’abri des poursuites judiciaires ordinaires ! Imagine-t-on un juge d’instruction qui ordonnerait une perquisition à l’Élysée ? Au Quai d’Orsay ou d’autres lieux de l’exécutif ou du législatif ? Un juge qui interdirait à un ministre de sortir du territoire en lui retenant son passeport ?

La séparation des pouvoirs est essentielle et doit être rappelée par tous ceux qui ont pour mission d’expliquer le monde, qu’ils soient journalistes ou enseignants.

Les journalistes ont laissé passer, ici, une belle occasion d'exercer leur vrai métier.

Par parenthèse, faut-il inventer un tribunal d’exception ? La Cour de Justice de la République a été créée en 1993, après l’affaire du sang contaminé, parce qu’il n’existe pas en France, de responsabilité pénale de l’État. C’est peut-être ce point de droit qu’il faut revoir.

Un agent de l’État commet-il une faute ? C’est l’État qui devrait d’abord en répondre, l’agent sanctionné à part. Tel directeur d’école a-t-il abusé des enfants qui lui ont été confiés par l’État ? C’est l’État qui devrait être le premier responsable et ce directeur condamné par ailleurs. Mais nous continuons à faire comme si l’État était, par nature, impeccable. Seul le lampiste peut être coupable. Et comme toujours, l'État fait croire qu'il est la vraie victime...