La guerre de 14 et l'école

 

Conférence de novembre 1915

L’an mil neuf cent quinze à une heure après midi, les institutrices et les instituteurs du canton de Milly se sont réunis à l’école de garçons, sous la présidence de Monsieur Gleyses, inspecteur primaire en résidence à Étampes.
Monsieur le président ouvre la séance et fait donner lecture du procès-verbal de la précédente conférence. Ce procès-verbal est adopté sans observations.
L’assemblée désigne comme secrétaire Mlle Jacquin, institutrice à Milly.

 L’enseignement pendant la guerre

 Monsieur l’Inspecteur donne lecture, en les commentant, de divers extraits de la circulaire ministérielle du 10 septembre 1915 dans laquelle M. le Ministre donne aux personnels de l’Université divers conseils précieux sur la façon d’enseigner pendant la guerre.

Il faut entretenir le sentiment national dans la confiance. L’école contribue pour une part très grande à la formation de l’âme de la Patrie. Elle atteint les familles et établit ainsi un courant de patriotisme et de confiance.
Monsieur l’Inspecteur passe en revue les différentes matières du programme et montre comment la guerre doit être incorporée à l’enseignement. En histoire, en géographie, les leçons seront inspirées des évènements actuels [1]. Les compositions françaises, dictées, s’y rapporteront aussi. En morale, l’enseignement sera soutenu de la force de beaux exemples, dont les journaux fourmillent d’ailleurs. La gymnastique ne doit pas être négligée comme préparation aux exercices militaires pour les garçons, comme développement physique chez les filles. Les chants seront patriotiques. Il sera bon d’apprendre aux élèves les hymnes nationaux des pays alliés.

 C’est par l’enseignement ainsi compris que l’Université exercera sur le pays une action morale salutaire. Nous sommes responsables de la moindre parole de défaillance et du moindre signe de tristesse.

 Lecture a été donnée aussi des plus beaux passages d’un devoir de pédagogie sur ce sujet : « Montrez comment vous vous servez des évènements actuels dans vos leçons de morale et d’instruction civique ».

 Monsieur l’Inspecteur a recommandé aux instituteurs et aux institutrices, conformément aux instructions contenues dans le Bulletin de Seine et Oise nº 5 de 1914, de s’intéresser aux évènements locaux relatifs à la guerre, et de le tenir au courant au moyen de fiches dont il a été lu quelques spécimens. Il a recommandé la lecture attentive de l’article de M. le Recteur Petit-Dutaillis (Revue pédagogique de juin 1915). Il a ensuite attiré l’attention de ses auditeurs sur la nécessité de fortifier l’enseignement de la morale, de développer chez les enfants le sentiment de l’honneur.

 En histoire, l’enseignement sera séparé pour le cours élémentaire et moyen. En général il ne faut point se rendre esclave des programmes, et donner beaucoup de temps aux exercices oraux.

 Monsieur l’Inspecteur a clos la séance par quelques conseils pratiques sur l’enseignement du français par la « dictée », sur l’enseignement de l’arithmétique, et par quelques avis relatifs à la correspondance et à la Mutualité scolaire[2] :

1º On ne doit envoyer en franchise qu’à l’Inspecteur primaire et non au trésorier de la Mutualité.
2º Remplir les mandats.
3º Se souvenir que les sociétaires âgés de 18 ans sont dans des conditions particulières.
4º Mentionner la date de rentrée des enfants à l’école, que la convalescence est comprise par le médecin dans la durée de la maladie.

 La séance est levée à 16 heures.

 M. Jacquin

[1]. Voir, par exemple, la dictée, ci-dessous.

[2]. L’inspecteur Gleyzes est le fondateur en 1899, de cette société de secours mutuel, dont le succès semble avoir été important.

Conférence de novembre 1917

L’an mil neuf cent dix-sept, le 21 novembre à treize heures, les institutrices et instituteurs du canton de Milly se sont réunis dans l’une des salles de l’école publique de garçons de Milly, sous la présidence de Monsieur Paul Moussard, inspecteur de l’enseignement primaire en résidence à Étampes.
Est constatée l’absence de :  Mmes Bertrand à Rouy, Godard à Bruno-Bonnevaux (non-excusées), Mlle Vallet à Milly (excusée),
Monsieur Freslon donne lecture du procès-verbal de la précédente conférence ; ce procès-verbal est adopté à l’unanimité sans observation.
L’assemblée désigne comme secrétaire Mme Alexandre, institutrice intérimaire à Milly.
L’assemblée écoute, debout, la lecture du texte ci-dessous :

Songeons :
À nos glorieux morts,
À nos héroïques blessés et mutilés,
À nos courageux frères qui ont combattu jusqu’à l’épuisement de leurs forces physiques,
À ceux de nos prisonniers qui furent les involontaires victimes d’une fortune contraire,
À tous les hommes admirables, chefs et soldats, qui chaque jour encore, en première ligne, affrontent la mort,
Aux populations civiles qui ont souffert et à celles qui souffrent encore de la sauvagerie boche (prisonniers, internés, soumis à l’occupation provisoire, évacués, rapatriés, réfugiés…)
Aux membres de leurs familles plongés dans le deuil, dans l’affliction ou dans la détresse,
À toutes ces Françaises, à tous ces Français va notre pensée : hommage ou souvenir, glorification pieuse ou communion fraternelle, affirmation de notre foi dans le salut de la France Immortelle.

L’Inspecteur porte ou rappelle à la connaissance du personnel diverses circulaires ministérielles et notes de service ou instructions de Monsieur l’inspecteur d’Académie relatives aux objets suivants :
1º Écoles maternelles (BD 1917, p. 179).
   Permissions aux institutrices (CM 13-XI-15 - CM 31-X-17).
   Danger de manier engins et explosifs (CM 16-V-16).
2º Appel du comité Michelet (feuille).
   Protestation universitaire (feuille).
   Accueil aux rapatriés (CM 16-X-17).
   Bourses aux orphelins de la guerre (CM 17-X-15).
   Œuvre des PEP Seine-et-Oise (BD 1917 p. 117).
   Lutte contre l’alcoolisme (BD 1917 p. 28).
3º Restriction des dépenses (CM 18-X-17).
   Restriction de la consommation (CM 18-X-17 et BD 1917 p. 79).
   Extension de la production (CM 18-X-17).
   Jardins potagers scolaires et petits élevages domestiques (CM 8-I-17 et BD 1917 p. 36).
   Collecte de l’or (BD 1917 p. 79 et p. 91).
4º Propagande en faveur de l’emprunt : CM des 2 et 12 novembre 1917.
   Annonce d’une semaine spéciale pour laquelle des instructions et des documents seront prochainement fournis.
[...]

 Une dictée patriotique

 Dictée – Pourquoi nous combattons.

 Flottilles de Zeppelins qui jetez dans la nuit, des bombes explosives sur les citées endormies, sous-marins qui torpillez traîtreusement les navires de commerce et livrez à l’abime des passagers inoffensifs, soldats grossiers qui fusillez de nobles infirmières, vous vous êtes chargés vous-même de montrer aux puissances neutres pour qui et pourquoi, contre qui et contre quoi nous combattons.
Nous ne combattons pas seulement pour nos nations respectives, pour leur indépendance, leurs traditions et leur avenir : nous ne combattons pas seulement contre des voisins agressifs et contre leurs insolentes entreprises, nous combattons pour la dignité des peuples, nous combattons contre l’orgueil envahissant et contre la rage forcenée des ennemis du genre humain.
Et ce combat, nous le mènerons jusqu’au bout, sûrs que nous sommes d’avoir pour nous l’opinion de tous les hommes qui pensent. Notre justice armée ne déposera pas le glaive avant d’avoir réduit le mal à l’impuissance et brisé l’iniquité.

Questions :
1° Que signifient : inoffensifs, neutres, agressifs, iniquité.
2° Mots de la famille de peuple.
3° Analyse : « Nous ne combattons pas seulement pour nos nations respectives. »

Les bataillons scolaires

On peut dire qu’en général, il n’y a pas d’éducation physique dans les écoles primaires. S’y intéresse-t-on vraiment ? La conférence de 1880 signale l'obligation nouvelle de cet enseignement, mais ne la commente pas et passe tout de suite à autre chose. Seule la conférence de 1913, entièrement consacrée à l'éducation physique, y insiste. On n'y retient cependant que les buts de santé et de bon développement corporel, non les buts militaires, pourtant présents dans tous les débats publics. C'est que de tels objectifs, imposés par la situation générale, ne rencontrent guère de succès chez ceux qui ont la charge de l'école. Le ministère, répondant à l'extraordinaire multiplication des sociétés de gymnastique et des sociétés de tir, met pourtant en place, en 1882, les bataillons scolaires. Ils n’ont suscité aucun enthousiasme dans les écoles[1] et leur nombre ne dépassera pas 150 sur toute la France, installés pour l'essentiel, à Paris et sur la frontière allemande. Ils seront supprimés en 1892, n'ayant convaincu personne, et surtout pas l'armée qui préfère en rester aux propositions du général Chanzy (1823-1883) : que l’école fasse les hommes, l’armée fera les soldats.
 Le Manuel dont il est question dans la conférence de 1913 (cf. ci-dessus, p. 167) le précise parfaitement : « On ne trouvera pas à la suite de ces leçons de gymnastique les exercices militaires inscrits dans les anciens manuels. La Commission a pensé qu'il suffirait de donner à l'armée des jeunes gens alertes, vigoureux, hardis et que l'armée se chargerait d'en faire rapidement des soldats disciplinés et exercés. »

Rappelons tout de même qu’il ne s’agit ici que de motivations pédagogiques. L’école ne refuse nullement sa part de patriotisme. Mais chaque chose à sa place : oui à la patrie, non aux exercices militaires à l’école.

[1]. Ferdinand Buisson résume bien la situation : « … le bataillon scolaire, institution superficielle, condamnée par l’expérience. » Dict., art. « Gymnastique ». Quant aux communes, elles ne se résolvaient pas facilement à financer ces activités et les instituteurs eux-mêmes se posaient des questions quant à l’efficacité militaire d’une telle formation, prêtant souvent à rire lors des défilés d’enfants déguisés en soldats et  qui avaient également pour effet de développer l’antimilitarisme. Les autorités religieuses trouvaient, quant à elles, que le seul résultat de ces bataillons était de mettre obstacle, par l’occupation du dimanche, à la pratique religieuse.

Conférences pédagogiques, l'école de la troisième République et la nôtre, pp. 174 et 198. Voir ici.